« La seule solution est une démocratisation des choix scientifiques »

« La seule solution est une démocratisation des choix scientifiques »

27 novembre 2012 0 Par Jean-Pierre Jusselme

Pourparlers rencontre Jacques Testart. Auteur avec Catherine Bourgain et Agnès Sinaï de « Labo Planète« . Ou comment 2030 se prépare sans les citoyens. » (Fayard), le président de la Fondation science citoyenne revient sur les enjeux éthiques d’aujourd’hui.

Amandine fête ses 31ans en 2012. 20 000 couples font appel aujourd’hui à la procréation médicalement assistée sur 200 000 naissances. La FIV est entrée dans les mœurs et dans la pratique ?

Oui. Tout le monde connaît des couples ou des enfants concernés. De 2 à 3 % des enfants naissent aujourd’hui de procréation assistée. Les parents en général ne cachent pas aux enfants les circonstances de leur conception. Il y a eu des débats autour des réticences pour déconnecter la conception de l’acte sexuel. Ces débats sont derrière nous.

 

De nouveaux problèmes arrivent avec de nouvelles techniques….

Les problèmes éthiques ne sont pas forcément reliés aux techniques les plus sophistiquées. A mon avis, une vielle technique comme le recours au donneur pose un vrai problème éthique. Le lobby des banques de sperme (CECOS) a imposé la pratique de l’appariement du couple reproducteur. En résumé, c’est une enquête génétique sur papier demandant aux hommes qui « produisent » le sperme les pathologies dans leur famille. Les CECOS posent la même question à toutes les femmes demandeuse de sperme. Les CECOS s’arrangent ensuite pour ne pas mélanger les mêmes facteurs de risque. Cela dépasse les motivations explicites de la FIV. C’est une médicalisation eugénique dans la façon de faire des enfants.

Comment sortir du dilemme ?

Une technique très sophistiquée comme l’I.C.S.I peut être une solution éthique à ces techniques très frustes du don de sperme. L’I.C.S.I a été inventé par les Belges en 92. J »ai fait le 1er bébé en 1994. On peut réaliser l’insémination avec un seul spermatozoïde injecté dans l’ovule. Cela marche très bien, fait des enfants normaux, et évite les donneurs de sperme.

La loi néanmoins autorise ce tri notamment pour éviter des « maladies graves » et handicapantes. Plus loyaliste que le législateur ?

Oui c’est pour moi un problème d’éthique sociale. Qu’est-ce qu’une maladie grave ? Qu’est-ce que cette quête de la perfection sans arrêt ? Aujourd’hui, on élimine en France tous les enfants porteurs de Trisomie 21. En Angleterre, depuis 1990, on sélectionne grâce au Diagnoscti préimplantatoire ( DPI) les embryons porteurs d’un marqueur strabisme. Les parents ayant ce problème dans leur famille demandent l’accès à la fécondation in vitro, alors qu’ils ne sont pas stériles pour avoir un tri de leurs embryons et enlevés tout ceux qui porteraiten ce gêne.Trois équipes en France pratiquent le DPI. L’équipe de Strasbourg a innovés en mettant dans la catégorie des maladies particulièrement graves le risque de cancer. Or c’est un risque et pas une certitude ! Cette espèce de dérive autour de la notion de « maladie grave » me paraît vachement inquiétant. Si vous autorisez la recherche étendue de pathologies « particulièrement graves » avec des centaines de paramètres et si vous produisez des centaines embryons, vous faites un screening de la production embryonnaire, C’est une pratique librement consenti, mais grave.

 Alors que proposez-vous ?

J’ai propose de ne plus jouer sur la gravité -qui est subjective- mais sur le nombre de pathologies recherchées. La loi peut limiter la recherche lors du DPI sur une seule pathologie. Tous les couples ne feront pas la même demande. On évitera la dérive du « portrait-robot » et de l’eugénisme soft.

La venue d’Amandine a inauguré le débat sur l’éthique. Quel regard portez-vous 30 ans après ?

En 1971, l’éthique biomédicale se ramenait à avoir une attitude morale, propre, déontologique, à ne pas faire quelque chose qui soit contraire au bien public et d’avoir le consentement des patients ou des usagers. On ne réfléchissait pas aux conséquences sociales ni à l’emballement technologique. Le Comité d’éthique que Mitterrand a créé un an après la naissance d’Amandine était le début d’une prise en compte social. Hélas, il est aujourd’hui en perte de vitesse. Il a tendance à être remplacé par l’Agence de Biomédecine, qui est un outil aux mains de professionnels, alors que le comité d’éthique était pluriel. Je trouve assez redoutable de lui confier tous les pouvoirs, au point qu’il est prévu de ne plus revoir régulièrement les lois de bioéthique. Les politiques se défaussent sur l’Agence de biomédecine comme instance de régulation

Quels sont les acteurs de cet « eugénisme soft » ?

Bien sûr, les assurances seraient intéressées d’avoir la carte génétique des enfants. Pour la sécurité sociale ce serait très économique de ne pas avoir de grosses pathologies, Il y a surtout l’idéologie d’un homme parfait. Il y a une grande mystification à partir de la découverte de l’ADN, qui dit que l’ADN c’est la vie, qui laisse croire qu’en contrôlant l’ADN on va donner des pronostics sur le devenir de chaque individu et éliminer les individus indésirables.

Est-ce qu’on peut être choqué des orientations de la recherche fondamentale plus orientée vers le business que les progrès de l’Humanité ?

La mystique génique est identique sur les OGM. On nous promet des plantes exemplaires, résistantes à toutes les maladies ou à la sécheresse, poussant dans les terrains salés….

Ca permet à des marchands de plantes de déposer un brevet et d’occuper de plus en plus de parts dans le marché de l’alimentation mondiale On impose des OGM, qui n’ont aucun intérêt pour les gens. Les produits sont toujours aussi cher à l’étalage et pas de meilleure qualité. Ce n’est pas l’intérêt public.

La seule solution est une véritable démocratisation des choix scientifiques, en amont de l’innovation pour définir les choix de recherches et les répartitions de crédit. La rationalité financière dicte notre façon de vivre. On voit déjà des dérives mercantiles à propos de femmes qui vendent leurs embryons ou louent leur ventre. C’est interdit en France, mais permis à 100 km à Bruxelles ou à mille kilomètres à Valence (Espagne) et avec la complicité de médecins français qui recommandant leurs patients à leurs collègues espagnols en contravention avec la loi française et ce qui à mon avis relève du Conseil de l’ordre. Tout arrive à passer parce que ce serait pour le bien des couples. C’est la misère qui impose les mère porteuses.

Propos recueillis par Jean-Pierre Jusselme