Les secrets du Vatican
1 novembre 2012Vatileaks, Opus dei, secret de fatima, da vinci code Le Vatican a ses secrets, que la morale de la transparence réprouve. Cet « obscur objet du désir médiatique » est sous les feux de l’actualité avec le Vatileaks. Pourparlers revient sur ces clairs-obscurs avec Bernard Lecomte, ancien grand reporter à la La croix et à l’express, ancien rédacteur en chef du Figaro magazine et auteur de deux ouvrages sur « Les secrets du Vatican »( Perrin). Retrouvez Bernard Lecomte sur son blog http://lecomte-est-bon.blogspirit.com/

Trente enquêtes par Bernard Lecomte
Vatileaks et l’ouverture des archives du Vatican. Est-ce une révolution ?
Le Vatican est d’abord un lieu de pouvoir comme le Kremlin, l’Elysée ou la Cité Interdite. Avec 2000 ans de traditions. Ce sont des lieux qui font le fantasme de beaucoup de romanciers comme Dan Brown pour le « Da Vinci Code ».
J’aborde la planète Vatican avec un plumeau : je passe mon temps à ôter des les légendes qui font la réalité du sommet de l’église avec des hommes qui ne sont ni des dieux ni des statues de marbre. Je prends des sujets comme le secret de Fatima, le suaire de Turin, la mort de Jean-Paul Ier, les silences de Pie XII, les prêtres ouvriers, l’Opus Dei. Soit une trentaine d’enquêtes. J’essaie d’aller chercher la vérité historique, de raconter l’histoire en n’étant ni complaisant ni agressif
Le Vatican cristallise pour autant des enjeux affectifs. On a envie de croire en cette institution. Le Vatileaks remet en cause pas mal de choses. Avec des questions d’argents, de vol de documents secret. C’est la fin de l’infaillibilité ?
L’arrestation du majordome du pape est évidemment spectaculaire pour les journalistes, mais cela ne va pas changer la face du monde. Saint-Pierre de Rome, en effectifs, c’est 2000 personnes, soit la moitié de la mairie de Saint-Étienne. Le Vatican n’est jamais qu’une petite administration qui s’occupe d’une communauté d’un milliard et quelques d’individus. Avec des hommes, leurs petites jalousies, leurs petites histoires, leurs petites ambitions, dans un espace confiné. Il peut arriver que certains font des choses, se poussent du col.
En revanche, l’affaire révèle que le Vatican est confronté à la transparence obligée, avec le numérique, la mondialisation, l’appareil photo. Il suffit maintenant d’un majordome qui le soir tout seul devant son ordinateur fait des scans, des « copier coller », qui envoie des mails pour provoquer une crise. C’est la même crise vécue par l’administration américaine il y a six mois. Le Vatican à son tour se retrouve confronté à cette nécessité absolue de transparence numérique
A une autre époque, à l’ère de la rumeur, comment analysez-vous le positionnement du Vatican vis-à-vis des du fascisme ?
Face à ce gigantesque bouleversement terrifiant que fut la guerre mondiale, parle-t-on de l’attitude du Vatican de l’église ou de Pie XII ? Pie 12 a été nonce apostolique à Berlin. Il connaît très bien l’Allemagne, parle parfaitement allemand et déteste Hitler. Il va avoir une relation très privilégiée avec les évêques et les chrétiens allemands. Le Saint Siège va avoir une position de neutralité pour espérer peser sur les décisions qui concernent des pays de tradition chrétienne.En 14/18, le Vatican avait fait la même le même choix, en étant accusé par Clémenceau d’être pape allemand et par Ludendorf d’être pro-français. Le Vatican se retrouve prisonnier en quelque sorte de cette obligation de neutralité. Et puis, il y a les églises nationales. L’église catholique n’as pas eu la même attitude par exemple en Autriche et en Allemagne. Enfin, l’église est universelle, composée de chrétiens plus ou moins patriotes. Chacun a suivi des choix personnels.
Pourquoi ne pas aller sur les secrets traditionnels de l’église comme le statut de Jésus-Christ ou les premiers conciles de l’église?
Ne me demandez pas de parler de Borgia, des papes d’Avignon ou de la papesse Jeanne. Ce n’est pas ma compétence : je suis ni historien ni archéologue. Jusqu’au XIXe siècle, on peut recouper avec la presse de l’époque, avec les mémoires des gens. Au delà, c’est la méthodologie d’un historien, et non d’un journaliste.
Est-ce que vous trouvez que le Vatican 2012 communique bien ?
On a assisté sous Benoît XVI a un repli de la communication, Jean-Paul II avait été dans sa jeunesse entouré de journalistes, comédiens etc. Les grands malentendus du Pontificat – Williamson, l’affaire de la petite fille de Recife, Ratisbonne, la pédophilie – ont montrés que le Vatican communique mal. Or, le Vatican ne peut être en dehors d’une société complètement mondialisée, éclatée et transparente. Alors, il poursuit ce travail d’adaptation à un monde très ouvert.
Qu’est-ce qui fait aujourd’hui encore secret dans le Vatican ?
Le Vatican est une mine d’or pour les histoires extraordinaires. La réalité est constamment plus intéressante que la fiction. Franchement, quand vous étudiez -comme je l’ai fait- les rapports entre Pie XII et De Gaulle, l’histoire vraie du tombeau de Saint Pierre, ou le suaire de Turin qui est une affaire absolument formidable. Je n’ai pas parlé de l’affaire Galilée, des légionnaires du Christ…. J’ai la matière d’un troisième tome.
Comment travaillez vous ?
La pré-enquête se base déjà sur les travaux existants en privilégiant les sources ni agressives ni complaisantes. Au Vatican, j’ai quelques contacts, des cardinaux qui me font confiance, ou des évêques polonais, suite à ma biographie de Jean-Paul II.
Les archives du Vatican ont été ouvertes. Cette lucarne sur les caves du Vatican est-elle exploitable par tous ?
Sur le plan méthodologique, il vaut mieux avoir une bonne expérience multilinguistique. Ces pyramides de documents nécessitent un tri. L’autre règle, valable pour toutes les archives du monde, est la non publication d’archives trop récentes qui mettraient en péril des familles, des gens, l’honneur de certaines personnes etc. C’est la règle des périodes de 70 ans pour permettre la diffusion de dossier concernant les affaires personnelles. En italien, les archives du Vatican s’appellent « secreto« , donc on comprend les archives secrètes. Mais en italien cela signifie « archives privées ». Entre les évêchés, les nonciatures, il y a des millions et des millions de kilomètres de documents pour lesquels il vaut mieux être aiguillé par un « coach ».
Sans vous pousser dans un conflit de loyauté, est-ce que les décisions du Vatican sont éclairées ?
Quand je suis dans mon métier de journaliste d’investigation, ma religion est le journalisme. Je ne m’ intéresse pas au jugement moral mais aux critères de véracité et d’authenticité.
Les décisions sont très élaborés, prenant des mois dans cette vieille institution pour mettre d’accord le président de telle congrégation avec le préfet de l’autre. C’est un endroit très bureaucratique. Les textes sur un synode arrivent un an et demi, deux ans après. Tout cela est quand même très sérieux : le Vatican porte une tradition de 2000 ans. L’église catholique ne se pilote pas comme un vélo solex.
Propos recueillis par Jean-Pierre Jusselme