Le Design, la houille grise de Saint-Etienne

Le Design, la houille grise de Saint-Etienne

15 août 2015 0 Par Jean-Pierre Jusselme

Avec un parti pris de montrer tous « les Designs », du plus appliqué aux objets du quotidien jusqu’aux utopies les plus ouvertes, mais avec le souci d’en faire un événement populaire, la Biennale Design est THE EVENT à Saint-Etienne.
Sur 12 000 m2, au cœur du Campus créatif de 17 hectares, à côté du Pôle optique et de l’école Télécom, la Biennale a pris ses camps d’hiver. Dans la patrie d’Etienne Mimard, inventeur du catalogue Manufrance, des « objets manifestes  la Biennale n’est ni « un salon commerciale d’entreprises ni une exposition muséale ». C’est quoi alors?003

Le Design, houille grise de Saint-Étienne

Evènement culturel et économique avec une progression régulière du nombre de visiteurs, le Focus fait par la presse sur la Cité ligérienne -avec une note très boboisante- de France Inter à Télérama en passant par les Inrocks, donne un coup de booster à la Fierté stéphanoise ( marque déposée ? 😛 ).  Retour sur cette aventure.

Sur les 12 000 m² de l’exposition mais aussi dans les lieux associés à l’événement, plus de 85 000 visiteurs, Designers venus de 50 pays, publics de professionnels et de chefs d’entreprise, public familial et de scolaires, ont pu regarder les objets qui à leur tour les ont regardés, comme en miroir, comme dans une relation interrogeant leurs pratiques individuelles ou collectives, leurs mœurs, modes de vie et désirs. La conversation avec ce monde de l’objet, du signe et du service ouvre à un monde d’utopies, en même temps qu’il questionne modes de vie et les schèmes de l’économie. Demain a déjà commencé hier avec la 7ème Biennale internationale du Design à Saint-Etienne. Prospectif le Design ? Sans aucun doute !

defaultDe curieuses maisons mobiles apparaissent au sein des mégalopoles du 21ème siècle. Les villes mobiles futuristes et grouillantes imaginés par des designers « global Design » se posent la question de rendre la ville habitable par les SDF. Un Designer local, M. Jacques Bois invente pour la société Cintrafil une poussette pour enfants handicapés (lire ci-dessous). Une poubelle « tri sélectif », en forme d’œufs est fabriquée par du personnel de réinsertion. Les « ravitailleurs » proposent un manifeste de défense de l’Humanité et inventent de nouveaux écosystèmes urbains où les déchets deviennent les intrants. Uter Hoffman s’occupe des grands brûlés. Il a crée un « programme Design » de réalités virtuelles qui les projettent dans un monde où ils oublient leur « physicalité ». En dépassent leur corps, ils dépassent leur douleur. Le Transfert d’un fichier en 3D, le fameux fax quantique, permet d’imaginer que demain l’objet sera conçu à Paris et réalisé à Bombay avec les matériaux, les artisans et les techniques locales de fabrication : ce serait une révolution nouvelle de la mondialisation passée à son stade 2. Le futurologue Stuart Candy interroge la technologie numérique en proposant un diagramme des futurs, du possible au préférable. Et si Mauricio Galante a bien habillé des sièges, loin du cliché de « la plastique d’objets réservés à une clientèle aisée », le Design présenté à la Biennale interroge l’avenir avec les questions du développement durable et de l’éthique. Dis moi comment tu design, je te dirai qui tu es !

Notre TIMELINE de la Biennale

La Ville Design on Dipity.

Le Design, un monde de la relation

Les objets mutent, et ils ont du caractère. Symboliques, fonctionnels, poétiques, ils peuvent être mémoriels comme cette dalle mémoire sur un cercueil qui garde l’image du défunt à la surface du cercueil, jusqu’à ce qu’on passe la main passe sur la dalle pour que l’image s’efface. Écologiques comme la voiture électrique Michelin Wheel qui embarque le moteur et les suspensions dans la roue. Préventifs comme le casque vélo directement relié par ondes aux secours. En expansion comme l’univers parallèle de Second life grandit à la mesure des 21 millions de comptes interactifs. On prend des photos en dessinant dans les airs, on contrôle son nouveau jeu vidéo sans télécommande, simplement avec les mains. « Le design est un univers qui dépasse la question matérielle incarnée par l’objet ou le produit. Dans le design, la culture croise l’économie. Les enjeux humains et sociaux sont souvent pointés“ explique Elsa Francès, directrice de la Cité du Design. « Le Design : le beau, l’utile… l’humain » avance Christophe Imbert, directeur de la communication de la Cité du design. Les esthètes de l’objet auraient-ils une âme ? « C’est un monde de la relation et du lien. On est au cœur de la question de la créativité. Le Design est un peu comme l’Evangile tissé de relations. Et comme le Christ, dont la Parole transforme et fait advenir du nouveau, le Design ouvre un monde nouveau » constate Eric Audouard, diacre et professeur à Télécom. « La personne est au centre de la réflexion Design » renchérit Christophe Imbert, avec un cahier des charges strict : créer des interfaces entre les hommes et les systèmes environnants.

Un événement tout publics

Depuis l’origine avec Jacques Bonaval, la Biennale a été pensée comme un événement populaire car «  le Design parle de la vie des gens et des objets du quotidien comme les brosses à dents. C’est le miroir de l’évolution de la vie quotidienne et en même temps un appel à l’imagination débridée. » explique Constance Rubini commissaire générale de cette édition et commissaire de l’exposition « La ville mobile ».

En direction du grand public, le dispositif de médiation et de sensibilisation pédagogique a été renforcée avec 200 créneaux horaires de visites guidées pour des scolaires et 500 pour adultes réalisées par 15 médiateurs culturels (sur trois thèmes structurant Design et entreprise, Design et art, Design, mobilité et confort) spécialement formés pour la visite. Outre une irrigation de toute la ville (24 commerces de ville, 11 expos et d’une 50 d’événements offs), des lieux culturels majeurs ont été investis (site Le Corbusier, Musée d’art et d’industrie, Musée art moderne). Dans le cadre des efforts de métropolisation avec la proche voisine lyonnaise (Eurométropole) des lieux culturels emblématiques de Lyon ont été partie prenantes de la Biennale. Une cinquantaine de pays ont été représentés (Espagne, Belgique, Finlande, Chine…) à travers un focus sur leur Design, permettant de voir in situ « comment la vie quotidienne se métamorphose, à travers la tension entre le patrimoine culturel et la modernité ». La scénographie harmonisée par Sébastien Graindorge a donné la lisibilité aux espaces d’expos. Les étudiants de l’école supérieure de design étant immergés pendant cette décade pour monter leur travail (sortie d’école) mais aussi pour confronter leur horizon.

La houille grise de saint Etienne ?

Le Design va t-il être la “houille grise“ de Saint-Etienne ? « Le Design est un champ d’activité de prospective et des outils se mettent en place dont l’Agence régionale pour le Design ou le plan PME de la Région avec de nombreux aspects « éco innovation » et « éco-conception », Saint Etienne étant le pôle de référence de la Métropole » a expliqué Jean-Louis Gagnaire, conseiller régional vice président en charge de l’économie. Cette 7 ème Biennale a été marquée par la volonté de marquer les relations existantes et à développer entre les milieux du design, ceux de la recherche appliquée, et ceux de l’entreprise « La biennale 2010 sera féconde dans la mesure où elle irriguera, par divers canaux, notre développement économique et social“ a plaidé Maurice Vincent, maire de saint Etienne et président de saint Etienne métropole.

La Biennale a rassemblé 150 entreprises dont des entreprises locales (lire ci-contre). Le budget de la Biennale est de 2,5 € avec de forts investissements de partenaires privés, qui sont pérennes dans le cadre des programmes de recherche. Les 2/3 des retombées directes se font sur le territoire de l’agglomération : 300 fournisseurs et prestataires dont 65% de la Loire et 79% de Rhône alpes. La Biennale a montré les outils d’accompagnement proposés par la Cité : Chèque Design finançant une 1ere étude pour en découvrir les bénéfices, « Lupis méthodologie » en direction des PME., exposition « Process design » illustrant le processus type, dévoilement d’une matériau thèque (répertoire des matériaux à destination des entrepreneurs), grande journée de présentation de l’étude nationale Design et économie, conférences mettant en lumière les synergies Design et compétitivité, exposition « L’entreprise » interrogeant prospectivement la fonction des entreprises, présence du collectif Designer + montrant que l’économie du design fédère et mobilise « une grappe d’entreprise » avec des architectes, des ergonomes, des bureaux d’études…

Le design par le service

Dans un temps où 90% des objets manufacturés le sont en Chine, et dans une société qui prend la dimension des services pour être un vecteur de croissance, le « design de service » s’installe dans les mentalités, sans encore tailler des croupières au design produit. Aujourd’hui, les Designers sont appelés pour redessiner les aéroports, imaginer une nouvelle gestion des flux, de nouvelles mobilités urbaines, des services intégrés à la population. Les vélos en location, les voitures partagées, les systèmes d’informations en temps réels, la revalorisation des espaces publics attestent de cette nouvelle économie du service qui sort peu à peu de l’économie produit : « L’économie par le service est aussi une réponse aux questions du développement durable : il n’est pas que sur l’objet final, mais il conçoit l’usage et le système général de vie qui permet d’éviter d’être trop dans la production. » Trois questions demeurent. Le Design de masse est-il dépassé ? Saint-Etienne aura-t-il le business de ses ambitions? Les Designers français, éternels mercenaires individualistes sauront-ils à l’instar de leurs homologues anglo- saxons ou allemands s’organiser professionnellement pour voir leurs intérêts défendus ?

Jean-Pierre Jusselme

Zoom historique

La Biennale a été fondée en 1998 par Jacques Bonnaval. Le creuset a été l’École des Beaux-Arts de Saint-Étienne. Depuis 2010, la biennale est portée par l’EPCC Cité du design – École supérieure d’art et design, qui réunit Saint-Étienne Métropole, la Ville de Saint-Étienne, la Région Rhône-Alpes et l’État (Ministère de la Culture). Pour la première fois, la biennale s’est déployée au coeur de la Cité du design, dont les espaces ont été inaugurés en octobre 2009. Les bâtiments rénovés par les architectes Finn Geipel et Giulia Andi, ainsi que la toute nouvelle Platine qu’ils ont conçue comme une architecture évolutive ont accueillis les activités de la Cité du design et de l’École supérieure d’art et design.

Des entreprises locales toutes « désignées »

Bien évidemment, il y a quelques poids lourds locaux qui ont compris depuis bien longtemps l’importance de se démarquer de la concurrence et d’affirmer leur identité par le plus Design. Tout comme Gibaud, Thuasnes (fondation en 1847) développe un global design avec une designer intégrée, Marie gérard et Sam Outillage avec El Bachir Boubakri. Tigex (100 salariés) propose sa baignoire évolutive Anatomy. Tout comme Thales Angénieux ( 40M d’€ de Ca et 270 salariés), Focal (194 salariés et 29M d’€ de CA) avec notamment le lancement des enceintes Bird ont travaillé sur l’image de marque et la packaging de leur société. Mais à côté de ces poids lourds ligériens, il y a aussi une pléthore de PME/PMI ligériennes qui rentrent dans une démarche Design. Quicksurf intégrée au Pôle Optique vision a ainsi fait appel à Jacques Bois (lire ci contre) pour un appareil de métrologie portable. Jerhome, ébénisterie contemporaine, développe une gamme de mobiliers bois contemporain. Atomelec, entreprise de saint bonnet le Château, développe avec Alexandre Bernard un ETotem c’est-à-dire une borne de charge pour véhicules électriques. Pramac (35M d€ de CA) dont les éoliennes urbaines pour particuliers ont été désignée Philippe Stark note l’impact image formidable pour le lancement de ce produit qui retentit sur l’ensemble de sa gamme. Doing (500 000 € de CA), société d’ingénierie informatique a été lauréate avec la carte Twizy, pass privilèges multiservices (carte à puce utilisable dans l’accès à de nombreux commerces et services) du concours Idées innovantes Design concept.

Focal : « Habiller le bossu » ou être un vecteur de compétitivité ?

Une définition du métier de designer ? « « C’est une méthode pour répondre à une question, un chemin et un service aux entreprises pour servir l’homme en tenant compte des spécificités et des usages techniques. Le chemin Design part de l’usage. Il travaille en transversal avec les spécialistes de l’ergonomie, des contraintes techniques et du marketing. Les designers réfléchissent, imaginent et concrétisent des objets, des images, des environnements, et des services en utilisant les formes, les matières, les couleurs.» Toutefois, le Design français souffre économiquement d’un problème majeur, explicable largement par des raisons culturelles : « Design » n’a pas l’étymologie en langue française de son avenir. Là où les anglo-saxons entendent « concevoir », la France comprend « dessiner ». Le Design français « French touch » est traditionnellement lié aux arts décoratifs, issu des réseaux d’Ecole d’arts. L’Ecole supérieure d’art et Design de saint Etienne n’échappe pas à cette fatalité. « Les Designers se frottent d’abord aux nobles arts, dessin, sculpture, peinture et à partir de ce creuset reçoivent un enseignement plus spécifique, qui ne va pas jusqu’au management » explique Tiboux, directeur de l’ESAD. Du coup, le Design français patine pour se faire sa place au soleil professionnel. Les Designer français longtemps catégorisés comme esthéticiens industriels, sont consultés après l’ingénieur et le spécialiste du marketing.

La solution passerait-elle par la transversalité ? Philippe Comte à la Cité l’a compris. Il fait travailler ensemble et transversalement dans des workshops ingénieurs de l’ENISE ou de l’école des Mines et Designers. Pour des bénéfices qui seront récoltés dans l’avenir ! Un point de vue et une méthode de travail pédagique que partage Elsa Francès et qui rejoint les questions de compétivité et de lutte contre la concurrence de notre économie nationale. « La créativité du Designer doit rencontrer celle du chef d’entreprise pour la conception des nouveaux produits qui répondent à de nouveaux besoins et usages. En améliorant la qualité, en jouant aussi l’innovation pour les marchés, les PME/PMI ligériennes et nationales peuvent espérer sortir de la relation de sous traitantes pour devenir créateur et concepteurs. ». De là à déposer des brevets !

Process Design

Moche, rigide et impraticable sur tout terrain ! Des structures agressives, des traits marqués, une robustesse pas engageante pour autrui, puis par le coup de baguette magique du « Process Design » la poussette devient légère, pliable, ludique, évolutive et avenante. Fruit de la rencontre entre Jacques Bois designer de l’agence Pardi design et Cintrafil (2M d’€ de CA, 15 salariés) PMI de Tence, la conception et la réalisation de Jetti marque un process design type « Gagnant/gagnant ». A partir des attentes, voir les souffrances d’une famille, l’entreprise a conçue un produit qui va être au quotidien un vecteur de changement de vie pour l’enfant. « Elle donne envie d’aborder la personne handicapée sans retenue » explique M. Pascal Rey, chef de projet. On avait la technique mais il fallait dédramatiser l’aspect handicap de la poussette. Le design nous est apparu incontournable. «  L’équipe a rassemblé un ingénieur en conception 3D, une ergothérapeute et un chef de projet dans un processus de création continuel. « On a franchi un cap, en passant de sous-traitant à concepteur créateur » explique encore Pascal Rey Une innovation qui a reçu une étoile et a été labélisée par l’Observeur du design 2011 organisé par l’APCI (agence pour la promotion de la création industrielle), soulignant l’intelligence de cette invention, qui « déstigmatise » le handicap. La poussette Jetti, actuellement exposée à la Cité des sciences de Paris est en période d’homologation, attendue pour début 2011 !