Boualem Sansal, libre et sans concession
26 octobre 2015« C’est l’état de guerre qui m’a poussé à écrire ce roman » nous expliquait doucement Boualem Sansal, auteur de 2084, la fin du monde, lors de cette 30e Fête du Livre, où il a reçu le grand prix de la Ville de Saint-Étienne, récompensant une œuvre douée de créativité et d’originalité.
L’écrivain algérien a été aussi sollicité qu’une rock star pendant ces deux journées, entre les tables rondes, interviews et les innombrables dédicaces sur son stand (et dans les allées) auxquelles il s’est prêté avec une disponibilité sans faille, toujours souriant .Paru il y a deux mois, ce conte noir, roman d’anticipation et formidable fresque humaniste domine la rentrée littéraire. « 2084 » est le versant religieux de l’œuvre Georges Orwell : un cri d’alarme sur une idéologie liberticide, un brûlot puissant, foisonnant, visionnaire, écrit dans une langue incandescente.
Pour sa septième œuvre romanesque, Boualem Sansal s’affirme plus que jamais comme un kamikaze de la plume, défenseur des libertés et de la laïcité, fidèle à ses convictions depuis « Le Serment des Barbares ».
« Chacun essaie de faire quelque chose »
« J’ai commencé à écrire vers l’âge de 50 ans. J’étais universitaire en même temps haut fonctionnaire. La guerre civile arrive vers 1990 et en quelques années le pays a été totalement détruit. Quand votre pays se trouve dans une situation pareille on fait quelque chose. Ceux qui sont Islamistes rejoignent les Islamistes, ceux qui sont pour le gouvernement soutiennent le gouvernement .. Moi, après avoir été limogé en raison de mon engagement, j’ai eu la chance de me retrouver dans un groupe informel, composé d’écrivains, d’artistes, de spécialistes des droits de l’Homme travaillant avec Amnesty international, et se réunissant dans différents cafés. On discutait, on envoyait des messages de sensibilisation aux pays européens, à l’ONU, on rédigeait des rapports. Ce sont les réflexions des copains sur mes textes qui m’ont lancé dans la création littéraire. Mais quand j’ai écris « Le serment des barbares » au départ, je n’avais pas l’impression d’écrire un roman. Au bout de trois ans, j’avais 400-500 pages. Je l’ai mis au propre et je l’ai envoyé chez Gallimard. Ça a provoqué un séisme dans la maison ! »
C’est avec le même sentiment d’urgence qu’il a écrit « 2084 » : « Chacun essaie de faire quelque chose comme il peut. Les femmes créent une association pour aider les filles violées. Les avocats se mobilisent pour enquêter sur des cas de torture. Après mon premier roman, je me suis rendu compte que j’avais été écouté et entendu. Et j’ai continué. »
Attaché à sa terre natale
Boualem Sansal qui vit toujours à Boumerdès, près d’Alger et n’envisage pas de quitter son pays natal malgré les menaces, a fait le choix d’une littérature « qui parle au nom des autres et se donne une dimension politique. Je me définis comme un écrivain engagé car dans tous mes livres, il y a un discours politique.»
Et d’ajouter : « certains de mes amis me recommandent de séparer engagement et littérature et pensent que mon talent serait libéré si je ne faisais pas de politique. Mais j’ai fait le choix d’être un écrivain engagé, de traiter de sujets engagés. Pour que les lecteurs comprennent mieux ce qui se passe en Algérie. Pour autant, mes textes sont très travaillés. L’ensemble est harmonieux, significatif. Je crois beaucoup en la force de la langue et du style. »
Pour Boualem Sansal, la question n’est pas de savoir si l’intégrisme est le fruit de la religion ou d’un contexte géopolitique : « toute religion est interprétable. Certains veulent s’en servir pour rééduquer, d’autres s’y opposent et reprochent à ceux-là d’utiliser la religion à des fins de pouvoir. Entre l’Islam, l’hyper fondamentalisme, l’Islam pur, dévoyé, les frontières sont très floues et au sein même de l’Islam il y a des courants très divers, comme le soufisme qui ignore le Prophète, et a pourtant une approche très puriste de la religion. Quel équilibre trouver entre tous ces courants, c’est très difficile. On passe par des phases de guerres religieuses, de paix provisoire, on divorce, on se ressoude face à l’ennemi … c’est le problème d’une religion qui n’a pas d’autorité installée. »
S’il se définit comme « agnostique et même athée » l’écrivain explique s’intéresser à la religion « qu’en tant que phénomène social. Est-ce que ça apporte quelque chose à la société ou est-ce que ça dresse les gens les uns contre les autres. Ça apporte quelque chose à ceux qui pratiquent la religion tranquillement chez eux.. »
Mais Boualem Sansal reste avant tout un écrivain et un artiste qui s’exprime avec sa sensibilité : « je ne suis ni un prophète, ni un messager » explique-t-il. « J’écris comme je pense, et je réfléchis aux manipulations, aux conséquences de mes écrits, mais je ne suis pas quelqu’un qui fait des concessions. »
Dominique Berthéas